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1999 : le monde de la SF tremble avec la sortie sur grand écran du fabuleux Matrix. Révolutionnant le genre après « 2001 l’Odyssée de l’espace » ou encore « Blade runner » qui marquèrent les esprits, cette œuvre dystopique aborde avec panache la société de demain en proie avec la toute-puissance technologique. Flirtant avec l’univers manga, les codes du cyberpunk et du kung-fu Hongkongais, l’esthétisme novateur subjugue petits et grands cinéphiles sur fond de musiques électroniques aussi accrocheuses que psychédéliques. Écoutez cette petite voix insidieuse qui s’immisce en vous : êtes-vous vraiment dans la réalité, en êtes-vous bien sûr… ? Plongé dans un décor post apocalyptique, nous suivons les péripéties de Neo, programmateur informatique dans ce qu’il croyait être la vraie vie. Mais ce qu’il tenait pour acquis va rapidement vaciller, lui ouvrant les portes d’un monde déchu où les humains sont exploités par des machines qui les endorment avec une simulation virtuelle. Tout droit sorti de l’imaginaire des frères Wachowski, il est bon de rappeler que Matrix a fait son incursion dans une époque marquée par l’avènement d’Internet et les fantasmes nourris par le possible bug de l’an 2000. En somme bien loin des débats d’aujourd’hui et enjeux de société autour de l’intelligence artificielle et des mondes virtuels…
Impossible de passer à côté, le phénomène du métavers fait couler beaucoup d’encre et nombreux sont les grands groupes à vouloir se faire une place au soleil. Contraction de l’anglais meta-universe, ce concept a été décrit pour la première fois en 1968 dans le roman « Simulacron » 3 de Daniel Galouye, puis dans le « Samouraï virtuel » de Neal Stephenson qui en inventa le terme. Mais qu’en est-il exactement ? Encore à ses balbutiements mais annoncé pour être le futur d’Internet, ce monde parallèle numérique qui n’est pas sans rappeler le concept de certains jeux vidéo, suscite beaucoup d’interrogations. Fonctionnant sur le principe de la blockchain et des crypto monnaies, chacun de nous pourra acheter des terres, créer des environnements, tisser des liens, travailler, apprendre, se divertir et interagir d’une manière illimitée et encore inimaginable. En bref, un espace commun qui ouvre le champ des possibles… (pour le pire et le meilleur ?). Pour beaucoup d’acteurs de l’industrie immobilière, du luxe ou et de la grande distribution, le métavers représente une source de revenus extrêmement lucrative. Nul besoin d’un casque de réalité virtuelle (même si l’expérience est alors poussée à son paroxysme), on prend simplement son ordinateur ou smartphone. Attachez vos ceintures, départ immédiat !
La mode est dans tous ses états…
Précurseur du metavers, le jeu virtuel Second Life a conquis la planète avec plus de plus de 73 millions de personnes depuis sa création. Chacun, doté d’un avatar peut en effet voguer à sa guise dans un environnement ouvert, et échanger avec des personnes aux quatre coins du monde. Déjà versée dans le numérique, notre vie quotidienne a drastiquement basculé dans le virtuel au moment de la pandémie et cela ne semble pas prêt de s’arrêter en si bon chemin… Loin de se cantonner à du simple divertissement, ces univers immersifs deviennent un nouveau terrain de jeu pour les investisseurs et l’eldorado pour les géants de la Silicon Valley. Regardons d’un peu plus près…
L’industrie du luxe, sans cesse avide de nouveaux consommateurs et aujourd’hui tournée vers la génération Z, s’est engouffrée dans la brèche du metavers, en qualité de pionnière. Le mois dernier, la griffe américaine Ralph Lauren a délaissé les grandes villes pour inaugurer une boutique dans le monde virtuel Roblox. Au programme : un dressing à portée de main et accessible 24h/24h pour vos avatars, et ce à moins de 10 dollars. Mais elle est loin d’être la seule… Burberry, Dior, Louis Vuitton, la marque de cosmétique Estéee Lauder ou encore Gucci et bien d’autres ont fait leur premier pas. Mais la réalité dépasse la fiction et le prix de certaines pièces s’envole, à l’image d’un sac Gucci vendu 4100 dollars, un bijou au story telling détonnant parti à 5,7 millions de dollars… Une nouvelle source de revenu non négligeable qui pourrait générer plus de 50 milliards de revenus supplémentaires d’ici 2030, selon la banque Morgan Stanley. Et c’est une aubaine : exit l’achat de matières premières, de coût de main d’œuvre, de fabrication, d’expédition et de lourdeur de stock, le business du numérique est plus que juteux, mais aussi plus écologique. Alors que plus d’un avatar sur 5 se soucie de son look et change quotidiennement de tenue, des milliers d’internautes se ruent vers le luxe, chose souvent impossible dans la vie réelle. Au-delà du gain financier, ces ventes vont aussi permettre aux marques de tester leurs produits en amont avant de les commercialiser dans le monde physique. Placement de produit, défilés virtuels, concert, ce ne sont que les prémices. Ce phénomène pourrait également ouvrir l’industrie de la mode à un horizon plus large. Par exemple, The Fabricant a récemment lancé une nouvelle initiative où n’importe qui peut concevoir des vêtements virtuels, les mettre en vente et partager les redevances… Affaire à suivre !
« La pierre numérique », un marché en plein boom !
Elle aussi à l’avant-garde du métaverse, l’industrie immobilière est aujourd’hui le théâtre d’opérations financières de grande ampleur. Les terrains numériques fonctionnent déjà comme des actifs financiers, à l’image de biens fonciers avec tout ce que cela comporte. Par exemple, la société Tokens vient d’acquérir pour 2 millions d’euros un terrain dans le quartier de Fashion Street, au cœur du Sandbox, pressentie pour être LA destination du shopping virtuel, façon 5ème Avenue. Encore mieux : la société new yorkaise Republic Realm a annoncé avoir dépensé la somme record de 4,2 millions pour s’offrir une parcelle de choix. Un chiffre qui a de quoi donner le tournis… Mais cette ruée vers la pierre numérique a également insufflé des idées au groupe Carrefour qui a officialisé il y a quelques jours son baptême dans le metavers. Allant de la simple expérience de courses en ligne nouvelle génération, à l’organisation d’évènements, ce tournant stratégique répond avant tout à des objectifs marketing et publicitaires. Selon la base de données sur les crypto monnaies Dapp, plus de 100 millions de dollars ont été dépensés lors de la semaine écoulée pour des achats immobiliers sur les quatre principaux sites du métavers que sont The Sandbox, Decentraland, CryptoVoxels et Somnium Space. Si les exemples de particulier ayant investi dans des terrains restent minimes, à l’exception de quelques célébrités, les grosses transactions ont été le fait d’entreprises. Malgré l’incertitude autour du métavers qui sera le plus prisé par les utilisateurs dans les années à venir (le géant facebook n’a pas dit son dernier mot), il y a fort à parier que la propriété numérique devienne courante avec l’utilisation des block Chain. A l’image du monde réel, le marché de l’immobilier se basera sur les mêmes critères que sont l’emplacement et la rareté, et sera sans nul doute investi par des institutionnels, si meilleure transparence et règlementations il y aura. Tout du moins, c’est ce qu’il se chuchote dans les couloirs de Unibalil Rodemaco…
Dans un monde dominé par les nouvelles technologies et l’hégémonie des réseaux sociaux, le métavers a de beaux jours devant lui. Qu’il s’agisse dans un premier temps de consommer, est-il si fou d’imaginer qu’un jour les particuliers voudront acquérir la maison de leur rêve, inaccessible dans la vraie vie, mais devenu synonyme de faire valoir social ? A condition que les prix restent bien entendu abordables…
Et l’entreprise dans tout ça ?
C’est un fait avéré : la crise sanitaire a démocratisé le télé recrutement et le home office. Le métavers, univers immersif et virtuel, investi aujourd’hui par les entreprises promet de nouvelles expériences dans un monde du travail toujours plus décentralisé. Plébiscité par de nombreux employés, le télétravail permet une meilleure harmonisation de la vie professionnelle et personnelle, mais distend souvent les liens sociaux, socle de la culture d’entreprise. Le metavers apparait alors comme une opportunité de renforcer les liens, de donner cours aux discussions informelles sans avoir à se déplacer au bureau ou se fatiguer de longues heures sur Zoom. En somme, être chez soi et avoir un pied dans l’entreprise de manière plus vivante et attractive ! Meta, anciennement Facebook a d’ailleurs commencé à tester cette expérience de travail inédite auprès de ses salariés, équipés de lunettes interactives et dotés de l’application Worksroom.
Pour continuer sur cette lancée, le géant des GAFAM a annoncé avoir récemment créé 10.000 postes pour encadrer et bâtir l’Internet de demain, où les frontières entre réel et virtuel s’effacent. Avec l’avènement du metavers, plusieurs métiers se profilent : d’une part, le « directeur de l’immersion » qui aura la charge de construire les futurs magasins au sein des quatre univers parallèles dédiés à l’achat et la vente de terrains immobiliers. Enfin, le « conteur de metavers » qui sera aux confins de la création immersive pour développer des scenarios de formations pour les utilisateurs et proposer un panel d’activités. Dans cette optique, le metavers va se mettre au service du volet RH et donner un second souffle à la « marque employeur » en la déployant dans le virtuel, à grand renfort d’évènements ponctuant la vie quotidienne classique d’un groupe. A la pointe de la technologie, Hyundai s’est essayée à la gestion du personnel et l’embauche, avec l’application de monde virtuel Zepeto pour l’intégration de nouveaux employés. De son côté, la société de conseil Accenture a vu les choses en grand et a ouvert un espace virtuel de plus de 10.000 collaborateurs qui ont participé à des sessions hautes en couleurs avec des lunettes de réalité augmentée dernier cri.
Mais est-ce alors la fin du télétravail comme on l’entend ?
« Au cours des deux à trois prochaines années, je prédis que la plupart des réunions virtuelles passeront des grilles d’imagerie des caméras 2D […] au métaverse, un espace 3D avec des avatars numériques », a déclaré Bill Gates, le créateur de Microsoft. Celui qui a quitté le conseil d’administration l’an passé travaille activement à la création d’un métavers orienté vers le domaine du travail. Exit salles de réunions physiques, ou visio éreintantes, ce nouveau Teams aux fonctionnalités virtuelles permettra aux équipes d’échanger et d’accéder à des outils collaboratifs, n’importe où dans le monde. En bref, des interactions moins figées qui vont booster l’implication et la productivité. Baptisée « Mesh for Teams », ce programme entend déployer des avatars nourris à l’intelligence artificielle. Sans avoir à allumer sa webcam, le logiciel sera à même de donner vie aux avatars grâce aux mouvements et expressions faciales des utilisateurs.
Imaginez-vous déambuler dans une rue déserte. Armez-vous de vos lunettes, et soudain, apparaissent des milliers d’avatars réunis pour un grand concert « à ciel ouvert ». Vous pouvez à votre guise vous déhancher et faire de nouvelles connaissances. Autre scenario : vous êtes tranquillement lové sur votre canapé puis la seconde suivante, en réunion avec votre équipe de travail afin de plancher sur le sujet du jour. Il y aurait donc en jeu la réalité augmentée, soit la superposition d’éléments numériques au monde réel, et la réalité virtuelle, qui entend façonner un autre monde en trois dimensions où l’on incarne son propre avatar.
Poussons la réflexion plus loin, serons-nous un jour dotés de capteurs sensoriels permettant de toucher, de sentir et d’interagir à distance, par le biais peut-être d’un robot ? Si Matrix nous a prouvé qu’il pouvait y avoir confusion entre le virtuel et la réalité, certains seront-ils happés par leur vie numérique au point de ne plus vouloir revenir dans la réalité ?