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USA: le tertiaire en pleine dépression?

Qu’on parle de courant de pensée, de consommation, de musique et même de management, la culture américaine s’immisce depuis des siècles dans le paysage européen. Une hégémonie parfois contestée… Si le pays a joué les pionniers en réinventant les espaces de travail qui riment avec décontraction dans la bouillonnante Silicon Valley, il a également été à l’avant-garde sur le télétravail. Après deux ans de pronostics exagérés sur le retour au siège des employés, de nombreux bureaux sont toujours vacants et c’est toute une économie qui fait grise mine dans les grands centres urbains. France VS USA, même combat ?

 Souvenez-vous, la question du télétravail aux Etats-Unis a défrayé la chronique l’an dernier. La fameuse question « du retour au bureau » a été au cœur de tous les débats et notamment mis en lumière par les géants de la tech, à coups d’annonces publiques parfois très maladroites. Ces derniers ont depuis lâché du lest même si la pratique est davantage encadrée. Outre les frontières californiennes, l’essor du travail hybride s’est démocratisé dans les grandes villes, un privilège d’ailleurs souvent réservés aux états démocrates, réputés pour leur politique libérale et tournés vers la flexibilité au travail. Vous l’aurez compris, ce n’est point à Memphis ou au Texas que vous aurez le loisir de travailler de votre canapé, mais bel et bien chez les « blue states » qui recensent une forte concentration de « cerveaux », d’individus diplômés et financièrement à l’aise. Pour parler peu mais bien, près de 30% de la production est effectuée en télétravail selon des chercheurs de l’université de Chicago et Stanford, soit 5 fois plus qu’avant la crise sanitaire. Bien qu’offrant un meilleur équilibre de vie personnelle et professionnelle, cette approche impacte de manière tangible toutes les strates de l’économie, de la restauration en passant par l’hôtellerie, le résidentiel et bien évidemment le tertiaire. La note est salée et c’est peu dire : rien qu’a New York, le manque à gagner se chiffre à 12 milliards de dollars par an selon une équipe de chercheurs de l’université de Stanford. Un coût pharamineux qui représente 4661 dollars par tête de cols blancs inhérents aux dépenses en repas, shopping et divertissements à proximité de son bureau. Du coté des transports en commun, plus de 2 milliards de pertes sont annoncés à l’horizon 2026 et le nombre de trains a été divisé sur 7 lignes. Que l’on soit de nature pessimiste ou optimiste, le travail hybride a profondément marqué le paysage urbain et cela se vérifie à vue d’œil : s’il est difficile de circuler dans le métro ou se frayer un chemin dans la foule compacte en milieu de semaine, l’ambiance est très différente le lundi et le vendredi. La fréquentation affiche une baisse moyenne de 52% le vendredi et de 45% le lundi, par rapport à l’avant covid. (Placer.Ai, leader dans les études de marché.) Si le spectre de la vacance continue de planer à New-York, les valeurs marchandes des bureaux risquent de chuter et ainsi peser sur les finances publiques de la ville. Un problème de grande ampleur puisque la taxe foncière s’avère être la première source de revenus, dont 41% est issue des bureaux. Selon les derniers chiffres communiqués par Business Immo, la mégalopole a enregistré une vacance de 12% en 2021, (-2,8 millions de mètres carrés), celle-ci ne cessant d’augmenter aujourdhui avec la construction de nouveaux bureaux. Un niveau historique jamais atteint depuis le premier exode en 1970 qui a vu la moitié des grandes entreprises se délocaliser sur le territoire américain. Cette fracture s’opère dans la plupart des quartiers y compris Manhattan : si Chelsea et Greenwich village connaissent 15% d’inoccupation, Upper West Side et Brunswick West ont dépassé les 20%. Même son de cloche du côté de Wall Street qui tente d’endiguer ce vide avec la sous-location. Mais le ver est déjà dans la Grosse Pomme et les autres grandes villes subissent le même sort : 24% à Los Angeles, 20% à San Francisco, 22% à Chicago…

 Aussi surprenant que cela puisse paraître, certains bureaux désertés servent aujourd'hui de plateaux de tournage, un petit pécule pour les bailleurs dont les surfaces sont esseulées. Comme en témoigne la société Backlot, la demande est croissante au vu de l’essor de la production de contenus que nous connaissons tous. Si l’ADN de cette entreprise est dans l’air du temps, d’autres s’essayent aussi à repenser les usages et … cela cartonne. Moins coûteux qu’un changement de destination qui pourtant a le vent en poupe (+ 43% en 2021), mais surtout plus aisé à gérer, certains espaces servent d’entreposage, de salle de sport et même d’école. Et c’est tout un secteur qui bouge au mieux pour s’adapter : de nombreux bailleurs entament des travaux et cassent les codes en proposant des espaces clés en main dont les engagements sont moins contraignants. Fini le bail de 10 ans devenu obsolète, la flexibilité est le maitre mot ! Autre initiative qui a la côte et qui répond au nom de Codi : Cette jeune pousse a misé sur le travail hybride et propose ce qui s’apparente à une multipropriété pour les locataires de bureaux. L’idée est que plusieurs acteurs partagent le même espace à des temps différents selon la présence des employés sur site. Savamment organisée, elle gère aujourdhui une soixantaine de sites et le succès est au rendez-vous, puisqu’elle a doublé sa croissance en à peine 6 mois.

 Plus qu’un changement de modèle, nous assistons à une véritable révolution. De Londres en passant par Paris, Madrid, Amsterdam, Berlin ou New-York, une tendance se dessine, celle de l’expérience utilisateur avec des bureaux premium, tournés vers le serviciel et plus respectueux de l’environnement. Qu’il s’agisse d’attirer des talents ou d’insuffler son ADN dans ses locaux, les entreprises tendent à prendre à bail moins de surfaces, mais plus qualitatives. Mais allons-nous être mangés à la même sauce que l’Oncle Sam ? Rien n’est moins sûr… Nous latins, aimons recevoir et avons un goût certain pour le beau, une tendance à la créativité, à la personnalisation, davantage exacerbé que nos amis outre atlantiques. Mais la différence de culture se joue aussi dans le relationnel et le rapport à autrui dans la vie au bureau. Si les Etats-Unis sont la nation du consumérisme par excellence, celle du « workaholic », les européens, contre toute vraisemblance semblent moins individualistes et plus soucieux du travail en équipe. Se voir, prendre le temps d’un bon repas, faire preuve d’humour sont des pré requis en France qui a érigé l’art de vivre et la douceur de vie en étendard. Il n’y a qu’à regarder les politiques en la matière : les congés payés font légion, idem pour le chômage. « Marche ou crève ? » ici jamais ! Enfin, il n’est pas négligeable d’évoquer l’urbanisme de notre territoire. Si La Défense a des petits airs de Manhattan avec ses gratte-ciels, il n’en reste pas moins que l’essentiel de nos environnements de travail sont à taille humaine. Levons les yeux au ciel et regardons notre belle capitale qui abonde d’immeubles haussmannien, jadis des lieux de vie…

 Ps : si télétravail peut parfois rimer avec problématiques économiques, la natalité a fait un bond sans précèdent chez les cadres sup américains 😉 (véridique !)