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Advisory • Concept • Project • Bureau opéré

Aktis Partners a donné la parole à Kinda Garman

Exit la RSE washing, le bullshit et autres postures de façade qui sentent l’imposture à plein nez, l’association Bureaux du Cœur est une initiative sincère, humaniste et aux multiples bénéfices. Le pitch ? Elle permet aux entreprises d’être solidaires en mettant à disposition une partie de leurs locaux pour héberger une personne démunie. Et ça marche ! Aktis Partners est allé à la rencontre de sa directrice, Kinda Garman. 

Lien social, économie circulaire, précarité énergétique, votre parcours est marqué par une recherche de sens. Les bureaux du cœur, une suite logique ! Quelle a été la genèse de cette aventure ?

Mon parcours est somme toute assez classique, j’ai fait une école de commerce avec la volonté d’avoir un maximum de portes ouvertes. Très vite, je me suis dit qu’au-delà de la lucrativité, les entreprises ont un rôle à jouer dans la société, qu’elles doivent porter un enjeu plus global et sociétal. Animée par la recherche de sens dans ma vie professionnelle, j’ai travaillé chez JC Decaux à la promotion de la mobilité douce avec les Velib, puis chez Too Good to Go qui lutte contre la précarité alimentaire en offrant des paniers alimentaires, basés sur le gaspillage. Ce fut la conciliation de deux mondes : d’une part, l’impératif du business, de l’autre, l’écologie et la solidarité. A un moment donné j’ai souhaité sortir de ce schéma où la frontière est parfois mince, à double tranchant. S’en est suivi des missions de conseil en freelance pour diverses fondations, jusqu’au jour tant attendu où j’ai pu aligner 100% de mes idéaux avec mon job. Ce fut une révélation lorsque j’ai entendu parler de l’association à la radio. J’ai immédiatement contacté Pierre-Yves Loaëc, le fondateur nantais qui m’a reçue. Imaginez-vous : le taux d’occupation moyen des bureaux frôle les 30%, tout en étant non-stop chauffés et climatisés. Pourquoi ne pas optimiser ces espaces de façon solidaire ? J’ai été conquise par le bien fondé du projet. Encore en gestation avant le covid, les Bureaux du Cœur se sont concrétisés à sa sortie, à l’heure où un éveil collectif s’est fait sentir.

 

Dans les faits, quel est le fonctionnement ?

L’idée est d’allouer un petit espace au sein de votre entreprise pour un « invité », une personne en situation d’exclusion. Cette dernière pourra en profiter en dehors des horaires de bureaux, lorsque les salariés auront regagné leur chez soi. Les plages horaires s’étendent généralement de 18h à 8h du matin et sont évidemment modulables dans la mesure du possible. Le nécessaire requis est modeste : un espace équipé d’un canapé lit, d’une armoire, une salle de réunion fait d’ailleurs souvent l’affaire. Enfin, des sanitaires et une kitchenette équipée d’un frigo et d’un micro-onde sont demandés. Le must ? La douche. Mais cet élément est encore en transition et non généralisé.

 

Quid du profil des invités ?

Notre parcours d’identification est très strict et s’opère via des associations partenaires. Les invités doivent être majeurs, ne souffrir d’aucune addiction et ne pas être sous le coup d’une obligation de quitter le territoire. Il est important de souligner que notre projet ne s’adresse pas à la très grande précarité, souvent synonyme d’accompagnement social et psychologique, mais à des individus qui ont besoin d’un coup de pouce, d’une main tendue à un moment donné. Ils sont tenus d’être dans une dynamique proactive par le biais de réinsertion professionnelle ou formation. Bien souvent, ils bénéficient du RSA mais n’ont pas les moyens de se loger. La vie peut parfois brusquement basculer et nous sommes le dernier maillon avant l’impensable…

 

Votre mission est avant tout d’accompagner les entreprises qui souhaitent héberger ces personnes dans le besoin. Comment cela se traduit-il ?

Des simples détails pratiques d’aménagement, jusqu’au volet juridique et règlementaire, nous les accompagnons tout le long du projet, du sur-mesure !  Mais le gros de notre activité réside dans la sensibilisation du bailleur et de l’assureur. Nous avons énormément travaillé avec les assureurs et AXA a désormais une clause « Bureaux du Cœur » sans surcoût pour l’entreprise. Nous sommes ravis car c’est un acteur majeur ! Enfin, il s’agit de sensibiliser le bailleur quant au fait de déroger au bail pour accueillir un invité, en misant notamment sur sa participation solidaire. Si l’assureur a suivi, peu de chance que ce dernier refuse… En parallèle, nous prospectons des entreprises mais généralement elles viennent à nous.

 

Quel est le profil des entreprises qui deviennent hôtes ?

Il s’agit surtout de PME dans le tertiaire où la prise de décision et la mise en œuvre sont relativement rapides. L’esprit familial de ces structures permettent à l’invité et aux équipes de tisser des liens de manière efficiente. C’est à nos yeux l’essence même de cette initiative. Mais nous avons aussi un grand groupe qui a joué le jeu comme l’entité lyonnaise KMPG, et sommes en pourparlers avec, entre autres, La Poste, Google et l’Oréal.

 

Quid du business model ?

Nous sommes financés essentiellement par du mécénat privé. Nous proposons deux parcours : celui qui consiste à héberger un invité, et pour celles qui ne le souhaitent ou ne peuvent pas, l’adhésion par le système de don est possible. A noter que nous sommes reconnus comme une association d’intérêt général, et donc défiscalisés à hauteur de 60%.

 

Le monde de l’entreprise est en pleine mutation et les espaces de travail se réinventent, au plus près des aspirations de ses utilisateurs. Est-ce un bon signe pour votre activité ?

Absolument. Les entreprises sont aujourdhui nombreuses à dédier une partie de leur surface à des espaces informels, à l’image de salles de sport, de billard ou de sieste, qui peuvent sans problème se prêter à une salle d’accueil pour un invité. De plus, le mobilier se veut davantage modulable, et ce dans des environnements flirtant avec les codes de l’hôtellerie. C’est un plus pour nous ! A terme, je suis convaincue que la société sera plus inclusive et les entreprises, bailleurs et constructeurs n’auront pas d’autre choix que de s’inscrire dans une démarche sociétale.

 

Selon les dires du fondateur, si chaque PME française hébergeait une personne sans domicile, la moitié d'entre elles serait à l'abri… Que répondre à ceux qui taxerait les bureaux des cœurs de douce utopie ?

 Quoi qu’on en dise, les gens s’éveillent à la solidarité et l’association est déjà présente dans 22 villes. Nous pouvons aussi nous targuer d’avoir offert un toit à plus de deux cent invités. Avec l’importance de la RSE et les attentes de la nouvelle génération en matière d’impact, les entreprises vont devoir redoubler d’effort pour se forger une marque employeur attractive et surtout de manière concrète. En somme, qui va bien au-delà de l’abandon de gobelets en plastique… j’aimerais évoquer la question du retour sur investissement qui est si précieuse : loin d’être un fantôme qui apparait et disparait aux heures de bureau, l’invité fait partie intégrante de l’écosystème et nous insistons sur l’importance du lien social. Du petit café le matin à l’after work dans les bureaux, il y a mille et une occasions de se croiser et d’échanger. Cette personne va sortir de l’invisibilité et intégrer une communauté, ce qui va l’aider à reprendre confiance en elle. Le lien social est puissant levier :  Un petit coup de pouce pour refaire un CV, des conseils pour un entretien… En plus de la sécurité et la stabilité, cette initiative offre l’intimité nécessaire pour se reconstruire et aller puiser le meilleur en soi. Du coté des collaborateurs, les bénéfices ne sont pas des moindres : l’expérience nous a montré que les salariés, après avoir brisé la glace, se sont réjouis de se sentir utiles ou tout simplement d’échanger un sourire, quelques mots. Avec les Bureaux du Cœur, la solidarité s’invite directement au bureau ! Donc utopie ? Je ne crois pas ! (sourire).