Crise énergétique, inflation, avouez-le, les temps sont un peu moroses en ce début d’automne… Parce que l'art a aussi sa place dans l'entreprise, Aktis Partners avait envie de vous changer les idées et vous plonger dans l’univers foisonnant de l’artiste Michel Audiard, qui nous a chaleureusement ouvert les portes de son atelier en Touraine. Du minuscule au gigantesque et grandiose, son œuvre mondialement connue a marqué les esprits et laissé son empreinte dans la grande Histoire. Un moment hors du temps du temps que nous avons eu la chance de vivre... Rencontre avec un homme au grand cœur !
A quand remonte votre intérêt pour l’art et le goût d’assembler les matières, les textures et les couleurs ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai l’art chevillé au corps depuis mon plus jeune âge. Mon père, intellectuel et esthète m’a très tôt initié et partagé sa passion. Il avait l’habitude de m’emmener avec lui visiter les musées. C’était un vrai marathon ! Puisqu’on ne peut pas voler les chefs d’œuvres tels que La Victoire de Samothrace ou la Venus de Milo exposées au Louvres, on essaie de les reproduire, puis on se crée petit à petit son propre univers. (rires). Ces sculptures sont le point de départ de ma carrière, ma Madeleine de Proust qui a donné vie aux miennes. Mais je l’ai compris bien plus tard avec émotion et amusement.
A la fin des années 60, vous coupez le cordon familial pour embrasser une vie de bohème. En quoi cette époque est-elle fondatrice pour vous ?
C’est là que j’ai découvert le goût si précieux de la liberté. Je garde un souvenir ému de cette période qui a été une libération nécessaire, loin du carcan familial qu’était le mien. Je vivais l’aventure, le rocambolesque. Je faisais les marchés, esquissais des portraits au fusain. Sans compter les rencontres extraordinaires qu’il m’a été donné de faire : Sartres, bachelard et bien d’autres. On ne savait jamais vraiment où l’on allait dormir ou manger le soir, mais ons’arrangeait toujours pour tourner la situation à notre avantage. C’est tellement éloigné de l’univers bourgeois dans lequel je suis né. La liberté est mon fil rouge en tant qu’homme et artiste…
Du fusain à Montmartre, en passant par le bois et la pierre, votre matériau de prédilection est aujourd’hui le bronze. Pourquoi ? Comment le travaillez-vous ?
Le bronze, c’est la voie royale, l’aboutissement suprême ! Un rapport presque charnel au matériau. Je le travaille dans la tradition ancestrale de la cire perdue qui permet de reproduire au détail près l’œuvre. Ce procédé consiste à recouvrir le modèle brut, la réplique en cire, de différents matériaux résistant à haute température, puis à le déposer au four. Pendant la cuisson qui dure une dizaine de jours, le matériau durcit, la cire s’écoule par les tuyaux : elle sera donc « perdue », d’où le nom de la technique. Le vide ainsi crée sera remplacé par le bronze liquide. Parce que j’aime avoir un œil sur l’objet et parce qu’avec des intermédiaires, l’œuvre vous échappe, j’ai décidé d’ouvrir ma propre fonderie en 1978. Je vois donc naitre et grandir mes œuvres de A à Z !
De votre statue de de Gaulle aux Invalides, puis de Mitterrand et Kohl exposée un temps au Louvres, en passant par vos stylos sculptures confectionnés pour plus de 70 chefs d’État, votre art flirte avec la sphère politique. Comment imaginez-vous ces objets uniques ? Une anecdote à nous raconter ?
Vous savez, j’ai longtemps pensé que les artistes étaient les fous des rois mais c’est bien souvent le contraire… Ces deniers ont soif d’exister, ont des désirs de grandeur mais surtout de paraitre. Quelles qu’elles soient, les œuvres d’art ne sont d’ailleurs intéressantes et existent que si elles racontent une histoire ! Un souvenir me reste en tête, il s’agit de ma rencontre avec Bill Clinton. Alors que j’exposais à Los Angeles, sa conseillère m’a acheté deux stylos destinés au président, notamment un, orné d’un chapeau de cowboy, clin d’œil aux pionniers américains. Lors de sa tournée en Europe et notamment dans le cadre des Accord d’Oslo, les protocoles de deux nations se sont entretenus afin de savoir ce qu’il souhaitait recevoir. Et c’étaient mes stylos. Je vous laisse imaginer ma joie ! J’ai donc eu la chance de lui concevoir un stylo en argent massif, en résonnance avec les accords de paix à l’œuvre. Sur ce dernier est inscrit « Paix, Salum, Salam, Peace » avec lequel il a d’ailleurs signé durant les conférences. Bill Clinton a voulu que je lui apporte en personne, durant un diner auquel j’ai été convié. Ce fut un quart d’heure hors du temps, un privilège que m’offre ma vie d’artiste. Un moment avec l’un des maitres du monde, doté d’un charisme, d’un vrai regard et d’une poignée de main qu’on n’oublie pas. Lorsque je me fraye un pas dans la grande histoire, l’enfant en moi exulte !
« L’ouvre-vin » est aujourd’hui votre « empreinte », un objet exceptionnel et riche de sens, qui transcende le temps et se transmet. Dites-nous en plus…
Tout ce que je sais du vin, c’est grâce à mon grand-père qui consignait précieusement ses impressions et l’histoire de chaque flacon dans des cahiers. J’ai découvert et découvre encore le vin grâce à lui, avec une émotion toujours intacte. J’aurais adoré avoir son tire-bouchon. Vous savez, cette notion d’empreinte est toujours basée sur les traces de quelqu’un, et avec « l’ouvre vin », j’ai voulu lui rendre hommage ! Si on a la poigne d’un ancêtre lovée dans sa main, on est dans la survivance des choses et je dois avouer que ma démarche a quelque chose de spirituel. Lorsque je reçois mes acheteurs qui viennent mouler leur empreinte, je m’amuse à dire que j’ai aujourd’hui leur ADN. J’ai poussé cette réflexion en me demandant : « pourquoi ne pas y glisser un petit réceptacle contenant un cheveu ou une goutte de sang ? ». Si l’on est croyant, la vie après la mort est une certitude. Si au contraire on ne croit pas en Dieu mais en la science, tout devient possible ! Regardez, on a bien cloné Dolly, pourquoi pas un homme ? En somme, la question de l’immortalité me fascine, philosophiquement c’est très intéressant… D’ailleurs, le véritable intérêt de mon travail réside dans donner du sens aux choses, sinon c’est prétentieux et ô combien vide de sens. Et les gens le sentent…
Vous travaillez également autour de l’art de la table. Quel serait selon vous un diner parfait ?
Primo, six à huit personnes maximums, car c’est la seule façon qu’il y ait une communication digne de ce nom. Avouez-le, certains diners sont soporifiques et on s’emmerde n’est-ce pas ? Que ce soit échanger des idées, des mets, ou des vins, la vie n’est qu’échanges, et la qualité des convives est l’ingrédient pour passer un bon moment. En parlant de diner, je me rappelle comme si c’était hier de Sartres et toute sa clique, à ma grande époque de Montmartre. Très intéressé par un fils de bourgeois qui jouait les vagabonds artistes, il a cherché, en quelque sorte, à faire ma thérapie. Je m’ennuyais fermement, et j’ai filé à l’anglaise. Avec le recul, je me dit que j’ai été sacrément culotté et courageux de refuser de rester avec un homme qui a lui-même refusé le prix Nobel ! (Rires). Bref, il y a des repas fastes sans intérêts et les meilleurs casse-croutes sur un banc dans une gare. La liberté c’est ça…
La frontière est poreuse entre « art » et « décoration ». Qu’en pensez-vous ?
Doit-on vraiment mettre les choses dans des cases ? Tout est interchangeable et l’un n’empêche pas l’autre. Évitons d’intellectualiser tout cela ! Il est vrai, la coutume veut qu’on place un tableau en évidence dans une salle blanche, de façon qu’on ne voit que lui. Mais si une œuvre est accrochée dans un environnement vivant, on va avoir l’œil qui se balade et qui s’arrête en particulier sur quelque chose. Lorsque certains viennent dans mon atelier, ils voient certaines choses et pas d’autres, c’est ton esprit qui est aux commandes, tout cela devient très subjectif et j’adore le concept. A l’image d’un jardin, on repère une fleur et pas une autre, c’est un instant T, demain ce sera autre chose. Ça dépasse la pensée, la liberté est reine… En définitive, il n’y pas de frontière entre art et décoration, tout est ouvert et en mouvement.
Des statues romaines, apanage du pouvoir souverain, puis religieux, jusqu’au street art, l’art public ne cesse de se réinventer. Véritable reflet d’une époque et d’un territoire, ce dernier investit de plus en plus le tissu urbain. L’artiste, un urbaniste (pas) comme les autres ?
L’art a une fonction éducative s’il a une histoire, à l’instar des vitraux dans une cathédrale par exemple. Quelqu’un qui ne savait ni lire ni écrire pouvait comprendre le message et les scènes de la bible mises en image. L’artiste ouvre les esprits et apporte un petit supplément d’âme aux passants.
Échappé des musées, l’art s’offre aujourd’hui à la vue des passants… Démarche parfois délicate, elle n’est pas sans rappeler la controverse de « Bouquet of Tulips » de Jeff Koons, « Tree » de McCarthy », mais également « Femme Loire » à qui vous avez donné vie…
Avec femme Loire, j’ai voulu symboliser l’environnement de la Loire, sa force et ses courbes. Cette réalisation de 40 mètres sur 17 a beaucoup plu à la mairie et aux habitants. Mais une frange de la population et politiciens en mal de buzz n’ont rien trouvé de mieux que de déclencher une polémique stérile et putassière. Une pseudo atteinte à la pudeur… Laissons les gens exister n’est-ce pas ? (Rires)
Artiste, chef d’entreprise… Quels sont les talents, savoir-être et savoir-faire qui se rejoignent et vous unissent ?
Plus jeune, je ne comprenais pas que l’artiste travaille avec d’autres personnes. J’ai vite découvert que derrière un maitre, se cache toute une floppée de personnes qui participent au projet. Par exemple, je suis très fier d’avoir ajouté ma petite pièce à l’édifice pour Dali. J’ai conçu et moulé pour lui un gros poisson. Nous avons ensemble un souvenir olfactif spectaculaire, car cette pièce, plongée dans le silicone pendant 12 jours, a failli nous faire tourner de l’œil ! (Rires). Sinon, j’ai également collaboré avec le sculpteur César, un être aussi gentil que grincheux mais si protecteur envers moi. Bref, des moments honorifiques dont je n’aurais jamais osé rêver. Pour en revenir à votre question, un artiste et un chef d’entreprise doivent avoir une vision et savoir bien s’entourer. C’est une aventure humaine dans les deux cas !
Bureau rime souvent avec productivité et créativité… A quoi ressemble le vôtre ? Quelle est votre vision de ce lieu ?
Je ne peux pas m’empêcher de penser à l’incendie qui a ravagé mon bureau et emporté beaucoup de mes affaires personnelles. C’était il y a cinq ans. L’endroit était génial, dans les ruines d’un vieux cloitre. Il est difficile de se remettre mais on avance, se morfondre n’est jamais la solution. Parce que donner du sens est viscéral, j’ai souhaité symboliser cet évènement au travers d’une exposition et certaines de mes pièces ont retrouvé un second souffle, notamment des masques africains brulés par endroit. Encore plus majestueux, ils dégageaient une certaine idée de puissance et de force. Une 2ème vie faisant écho aux légendes et traditions africaines, où l’animisme et les 5 éléments sont rois. C’était noble. Sinon, mon bureau, je l’aime en bazar, c’est mon refuge. Je pars bientôt en vacances et mes employés comptent bien faire place nette. Je suis très inquiet (rires)
Vous avez carte blanche pour ériger une œuvre au cœur des bureaux de Aktis Partners… Une idée ?
Ce n’est pas un secret, l’art permet de s’évader et favorise la créativité et l’innovation. Il n’y a rien de plus sclérosant que de travailler dans un environnement impersonnel, sans âme. Si je devais m’inviter chez Aktis Partners, j’irais avant toute chose à la rencontre des collaborateurs, du technicien jusqu’au PDG. Lorsque j’installe des méga structures en extérieur dans les municipalités, je mets un point d’honneur à faire participer la régie, c’est la seule façon que le projet leur appartienne et qu’ils en soient fiers. Je me sens comme investi d’une mission ! Il y a quelques années, j’ai inauguré une immense statue de De Gaulle à St Cyr dont le socle pesait plus de 300 tonnes. Les équipes attachées à la mairie ont travaillé d’arrache pieds et se sont sentis portés par le projet. Preuve en est, un petit couac a pointé le bout de son nez et mon assistant n’a pas pu leur prêter main forte, les gars en ont fait une affaire personnelle ! « Tu vois, c’est moi qui ai contribué à dresser cette statue… » dirent-ils en passant devant avec leurs proches. Pour revenir à Aktis Partners, j’ira débriefer avec chacun, leur montrer ce que je fais et voir si mon univers leur correspond. C’est la somme des individualités et les rencontres humaines qui dessineront l’histoire de l’œuvre ! J’imagine un grand plateau en bronze avec une quinzaine de petites figurines représentant les salariés, ce qui les anime. J’en ferais également un double, et lorsque la personne vaquera vers d’autres horizons, elle emportera le sien, en laissant un petit bout d’elle dans l’entreprise qu’elle aura vu grandir. Vous l’aurez compris, la transmission est vraiment mon dada…