A la tête de la licorne tricolore Ledger, leader dans la sécurité des transactions et le stockage des cryptomonnaies, on ne vous présente plus son patron, Pascal Gauthier. Charismatique et conquérant, il fait partie de ces personnalités qui dessinent le monde de demain et qui n’hésite pas à casser les codes. De Criteo, en passant par Ledger, nous ne sommes pas peu fiers d’avoir pu l’accompagner dans la définition et le déploiement de ses stratégies immobilières. Métavers, règlementation, écologie, ce CEO emblématique nous a fait part de ses visions et ambitions, sans langue de bois… Un éclairage passionnant !
Ledger affiche une croissance étourdissante depuis ses débuts et emploie désormais des centaines de salariés aux quatre coins du monde. Comment appréhender sa stratégie immobilière lorsqu’on est une organisation à forte croissance ?
Notre croissance s’est toujours jouée par palier, ce qui dicte inévitablement nos stratégies immobilières. Malgré le fait que nous travaillions sur des protocoles décentralisés, notre approche ne l’est pas vraiment. Nous avons en effet pris le pari de mettre le plus gros de nos équipes à Paris avec quelques hubs régionaux comme fer de lance pour notre offre « entreprise », à l’image de Londres, Singapour et New York. Nous avons également une antenne à Londres tournée cette fois vers nos deux offres, ce qui a permis d’étoffer nos embauches et pas uniquement nous cantonner au territoire français. Aujourd’hui satellisée dans trois bureaux à Paris, Ledger va prochainement poser ses valises au 106 rue du Temple, un lieu charismatique prêt à accueillir plus de 700 collaborateurs. Une nouvelle étape se dessine et je ne vais pas vous cacher que nous sommes très impatients ! Embrasser la bonne stratégie immobilière n’est pas une mince affaire dans un business comme le nôtre et requiert une vision et un sens aiguisé de l’anticipation. C’est un pilotage fin, une science… sans doute même un art !
Aktis Partners vous a justement accompagné dans la recherche de vos bureaux à Paris. Que retenez-vous de cette expérience ?
La genèse de notre partenariat remonte bien avant Ledger, c’était en 2012 lorsque j’étais directeur de l’exploitation chez Criteo. Benoît Perrot et moi avons travaillé main dans la main pour déployer la stratégie immobilière de l’entreprise. Cette dernière a répondu au nom de « 32 rue Blanche », un joyau architectural sur plus de 10.000 mètres carrés. Avec son célèbre rooftop offrant une vue imprenable sur la capitale, nous avons marqué les esprits. Aktis Partners a frappé fort dans le monde de la french tech et peut se targuer d’être leader dans l’accompagnement des licornes. Désormais à la tête de Ledger, c’est tout naturellement que j’ai fait appel à eux pour se lancer dans une nouvelle aventure. J’apprécie leur approche workplace car elle met un point d’honneur à mettre l’âme de l’entreprise dans ses espaces de travail. Ce qui fait toute la différence. Nous avons donc réussi à trouver un lieu qui nous ressemble. Un lieu qui a du caractère. Fleuron de l’architecture du XXe, le 106 temple est l’ancien centre des PTT parisien. Avec son allure de banque célébrant le béton brut, il me rappelle l’esthétisme de Gotham City. Des murs qui vivent avec leurs temps, et dont la transmission perdure aujourd’hui avec le boom des nouvelles technologies ! Il était fait pour nous. 106 Temple est l’apothéose de notre partenariat !
Parlons un peu crypto… Le nasdaq subit une baisse inédite, l’euro a perdu 11% de sa valeur par rapport au dollar, le contexte économique est fragilisé et le bitcoin n’y échappe pas. Quel est votre regard sur la situation et comment Ledger tire-t-elle son épingle du jeu ?
Effectivement, le contexte économique fait que tous les cours ne sont pas au mieux, y compris certaines propositions phares comme le bitcoin. Même si ce dernier n’est pas en excellente forme, il est bon de rappeler que depuis sa naissance, il explose. Encore une fois, sa croissance est en escalier et il repartira bien évidement à la hausse. La question c’est quand ? Mais cette décroissance n’a pas d’impact sur Ledger car nous avons construit notre entreprise pour être résiliente. Notre business model est en effet articulé autour de plusieurs unités que sont le hardware, les services transactionnels et les services de confiance. Enfin, les gens se rendent aussi compte que posséder leurs clés privées est devenu imparable, surtout lorsque les évènements macroéconomiques fragilisent les banques et ce qui est centralisé. Ce qui est à notre avantage !
Le Parlement européen et le Conseil sont parvenus récemment à un accord provisoire sur le règlement MiCa et TFR qui encadre le secteur des cryptomonnaies. Vous parait-il pertinent de transposer la règlementation bancaire au monde des crypto ?
Ce n’est pas judicieux. Le but de la régulation doit être vertueux : il doit protéger le consommateur et les entreprises, mais doit cependant s’adapter aux nouvelles technologies. Il est primordial de réguler avec pragmatisme, c’est-à-dire sans avoir en tête les recettes passées, mais opter pour de nouvelles approches pour la rendre plus efficace. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui, c’est totalement contre-productif. Les individus et les organisations devraient être libres de choisir la technologie la plus appropriée à leurs besoins. Les décideurs politiques ne devraient ni imposer ni discriminer une technologie particulière, au risque de nuire à l’Europe. Passant à coté de ce secteur en pleine croissance à cause d’un cadre trop strict, cette dernière risquerait de voir ses entreprises la quitter pour se développer ailleurs. N’oublions pas que les transactions liées à des activités illégales sont minimes, et représentent à peine 0,3%, ce qui me pousse à dire que cet amendement ne sera pas d’une utilité fondamentale. Nous avons besoin de réformes taillées sur mesure pour des problèmes spécifiques, pas d’interdictions généralisées… La vraie question est la suivante : ne vaudrait-il pas mieux basculer toute l’économie mondiale sur une blockchain, ce qui aurait aussi le mérite d’être public ? Enfin, je reste convaincu que le financement à grande échelle d’une police de la cybercriminalité reste une priorité absolue.
En tant que personnalité emblématique dans le domaine des crypto monnaies, avez-vous été consulté sur le sujet ?
Dans la vie, si vous pensez que les gens vont toujours penser à vous et vous appeler, c’est globalement une erreur. L’industrie des crypto monnaies a été au départ absente des débats mais a su se faire une place, se raccrocher aux branches sur la fin. Hormis quelques petits groupes parlementaires réfractaires, nous avons été en grande majorité écoutés… et compris. Certains ont même changé d’avis après avoir véritablement appréhendé les contours de cette technologie. Avouons-le, les crypto monnaies sont quelque chose de complexe pour le commun des mortels. Et ce qui est inconnu peut faire peur. Notre rôle est donc d’accompagner le régulateur pour trouver la meilleure solution qui soit. Cette casquette d’éducateur et de pédagogue est l’essence même de Ledger. Notre mission est de proposer un dispositif de sécurité mais aussi de délivrer les bonnes pratiques à nos clients. Nous ne vendons pas du bitcoin mais de la sécurité ! La nuance est d’or…
L’univers des cryptomonnaies est l’une des industries les moins durables au monde et dont l’empreinte carbone fait froid dans le dos. Les datacenters consommaient aux Etats-Unis plus 660 milliards de litres d’eau par an quant au bitcoin… le bât blesse. Une seule transaction Bitcoin requerrait plus de 2 000 kilowattheures d’électricité, soit autant que pour alimenter un ménage américain moyen pendant 73 jours… Qu’en dites-vous ?
Je n’aborderais pas la question sous cet angle-là. Cela montre qu’il y a un réel problème d’éducation entre ce qu’est l’énergie, comment on l’utilise et à quelles fins. Il est crucial de réduire le gaspillage mais une chose est certaine, l’humanité consommera de plus en plus d’énergie. C’est factuel et il ne faut pas s’en cacher. Mais j’ai le sentiment que la frugalité écologique tend aujourd’hui à entraver nos libertés : je ne prends plus l’avion, ni ma voiture, je n’allume plus mon barbecue, dois-je aussi arrêter de respirer au vu des 25 tonnes de CO2 que nous rejetons dans une vie ? Et qui décide de ce que nous avons le droit de faire ou non ? C’est très compliqué. Je veux bien qu’on incrimine les crypto monnaies mais dans cette optique, que penser par exemple des sèche-linges qui consomment 1% de l’énergie aux Etats-Unis ? Cette logique est à mes yeux dangereuse et navrante. Poussée à son paroxysme, devons-nous aussi arrêter de faire des enfants ? Parce que la terre nous survivra quoi qu’il arrive, il m’apparait indispensable de traiter le problème différemment, en remettant justement l’humain au centre. Que nous nous sentions bien et en bonne santé pour en profiter. Pro-humaine, la pensée écologique développée dans les années 70 avait tout bon et je la regrette. Aujourd’hui ? Je ne vois que pénitence, sacrifices et remise en cause de tous nos usages. Pour en revenir aux crypto monnaies, cette industrie va dans le sens du progrès et mérite qu’on travaille dessus. Elle est certes gourmande en énergie mais concourt à garantir la décentralisation et la sécurité, deux défis de taille à l’heure de la toute-puissance du numérique. Pour clore ce débat, je ne peux pas m’empêcher d’évoquer le sujet de la décroissance démographique qui est selon moi très grave. Je partage la vision d’Elon Musk qui est de dire que nous allons droit dans le mur si la natalité chute. Qui dit moins d’actifs, dit moins de chances d’innover et de développer de nouvelles technologies pouvant améliorer nos conditions de vie et le sort de la planète…
Cathay innovation et Ledger se sont récemment associés dans la création du tout premier fonds d’investissement dédié au Web 3 qui entend révolutionner l’écosystème d’internet. Quelles leçons le Web 3 a-t-il tiré des erreurs passées de la technologie ? Est-il juste de dire que vous ambitionnez de concurrencer les GAFAM ?
La logique où l’utilisateur est le produit est en perte de vitesse et nous assistons à un changement des mentalités. Le Web 3 aspire à redonner la possession et le pouvoir à l’utilisateur, en termes d’exploitation des données et de gouvernance. En somme, le remettre au cœur d’un système de valeurs, aujourd’hui dévoyé. Contrairement aux apparences, il ne compte pas rivaliser avec les GAFAM. Il n’en a pas non plus le modèle car il s’agit d’une unité intégralement décentralisée qui prend les décisions. Reposant sur la technologie de la blockchain, la petite révolution qu’est le Web 3 sera sans nul doute un outil puissant pouvant entrainer des changements profonds, voire politiques. Souvenez-vous de la naissance du bitcoin en 2008…. Éminemment libertarien, il a vu le jour en réaction au système financier traditionnel, au moment où celui-ci connaissait l’une des plus graves crises de son histoire. Celle-ci a jeté le discrédit sur les monnaies voire sur nos gouvernements, inaptes à protéger les valeurs et… les populations. C’est en cela que le Web 3 sera probablement politique, car il remettra le pouvoir dans la main du consommateur. C’est énorme.
Comment envisagez-vous le metavers ?
Pour la plupart des gens, il s’apparente à une expérience immersive et de gamification. Lorsqu’on regarde bien, tout cela ce n’est pas tellement nouveau, comme le prouve le jeu Second Life qui existe depuis deux décennies ou encore Mario Bross et ses petits avatars sympas. Notre vision du metavers est sensiblement différente chez Ledger : l’idée n’est pas de se balader soi-même dans un univers numérique, mais au contraire, cette capacité à se forger un véritable soi digital, unique et contrôlé. Et ce dernier peut avoir tout un tas de propriétés comme de l’argent en bitcoin, une identité propre, nous amenant à vaquer dans différents univers en 2D, 3D, ou même offline. Aujourd’hui on peut se faire hacker, mais ce n’est pas foncièrement grave. Demain, les enjeux de cybersécurité seront décuplés car notre soi digital sera constitué de choses extrêmement précieuses. Nous serons amenés à nous loguer dans des préfectures de police, des ambassades, et probablement passer des frontières en montrant patte blanche avec son double numérique.
Sinon, à quoi ressemble votre bureau ?
Je suis seul dans mon bureau car mon business s’articule autour de la sécurité, il y a beaucoup de données confidentielles. Mon bureau est simple, c’est le même que tout le monde. J’ai affiché 3 tableaux qui me parlent : un de Dark Vador, un autre de Mickael Jordan. J’ai également au mur une copie authentique de la une d’un quotidien salvadorien annonçant en grande pompe le bitcoin devenu devise nationale.
En parlant du Salvador, l’instauration du bitcoin a-t-elle un sens ou est-ce une simple fantaisie, un buzz ?
Il est bon de rappeler trois points fondamentaux. Primo, le Salvador n’a pas sa propre monnaie mais jongle tant bien que mal avec l’Us Dollar. Deuxio, plus de 70% des gens ne possèdent pas de compte en banque. Enfin, son économie repose massivement sur des transferts de la diaspora américaine, où plus d’une centaine de millions d’euros se voient beaucoup taxés chaque année par des acteurs tels que Western Union. Dans ce contexte, le bitcoin apparait comme une solution efficiente et non comme une fantaisie. Cette réforme a ainsi permis d’améliorer les conditions d’accès au système bancaire et faciliter les transferts de fonds depuis l’étranger. Cela a un sens ! Je connais pas mal de personnes et de journalistes qui sont partis sur le terrain pour enquêter, et les retours sont extrêmement positifs. Il n’est pas saugrenu d’imaginer que la Russie, la République Centrafricaine, le Zimbabwe qui subit une inflation de 196%, la Turquie et bien d’autres emboiteront le pas. Les choses sont claires : si tu n’es pas dans la zone euro, aux Etats-Unis ou en Chine, ta monnaie n’est pas de réserve et de facto ne vaut rien. L’étalon or devient l’étalon bitcoin !