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La bienveillance: bullshit ou réalité ?

Si le désengagement des salariés et la grande démission battent leur plein en Occident, cette dynamique ne date pas d’hier. Accéléré par la crise sanitaire, le monde de l’entreprise a entamé sa révolution en questionnant notamment le sens au travail et les relations interpersonnelles au bureau, parfois mises à mal avec le télétravail. Dans une époque marquée par l’injonction au bonheur à grands recours de « développement personnel » parfois douteux et nombriliste, on pense immédiatement à la bienveillance. Si cette vertu semble galvaudée par les détracteurs de la dictature des bons sentiments, elle a pourtant du chemin à faire dans les couloirs au bureau… et pour le meilleur ! En quoi est-elle un outil de performance managériale ?

Hypocrite, trop « bisounours », utopique, quoiqu’on en pense, la bienveillance contribue à un monde meilleur et à harmoniser les relations humaines. Mais qu’est-ce que tout d’abord la bienveillance ?

Considérée par Simone Veil comme « la forme la plus rare et la plus pure de générosité », c’est avant tout être à l’écoute d’autrui et vouloir son bien. Dans le cadre de l’entreprise, bien plus que de la simple gentillesse, la bienveillance est l’idée que chacun puisse se réaliser, prendre des initiatives et développer son potentiel à son aise. Cette position s’insère donc dans une politique RH qui vise à mettre en lumière les « plus » sur les « moins ». Néanmoins, il ne s’agit pas de plonger dans un laxisme outrancier et évangélique : la bienveillance n’est pas forcément synonyme de tolérance, ni d’être trop conciliant non plus. L’excès serait contre-productif et mènerait à une certaine indifférence, en somme, bien éloignée des bénéfices attendus. Un savant dosage est de mise !  

Célébrée à toutes les sauces par les médias et devenu l’étendard de certaines organisations (non sans rappeler parfois le phénomène du greenwashing), la bienveillance fait explicitement appel à un type de management horizontal. Un ingrédient pertinent pour la culture d’entreprise, si ce dernier est bien évidemment authentique.

Avant les années 90, le concept de culture d’entreprise n’existait pas ou timidement. On parlait process, organisation, les problèmes à résoudre étaient essentiellement de nature technique et non humaine. Caractérisé par un management vertical basé sur la surveillance et encourageant les silos entre départements, la transmission des ordres et informations vont du haut vers le bas. Cette approche met non seulement beaucoup de pression sur les épaules des managers mais étouffe aussi la créativité et la prise de décisions des collaborateurs, quelques peu infantilisés. Au fil du temps, la donne a évolué au profit d’un management plus souple et relationnel, faisant la part belle à une culture du résultat plus humaniste. Les niveaux hiérarchiques et les frontières s’estompent vers un travail collaboratif où chacun a une vision de l’objectif et comprend l’importance de son apport dans un projet.

Avec les aspirations de la jeune génération et le COVID qui a démocratisé le télétravail en l’érigeant en norme, se redessinent les contours du management. Nous assistons à une redéfinition des standards de productivité, où la notion de performance s’élargit : la notion de hiérarchie, quelque part remplacée par celle de « groupe », tire ses racines dans un état d’esprit positif et enthousiaste à l’égard du salarié. Point de clichés sur la fainéantise invitant à la méfiance, le collaborateur a des capacités, le goût du travail bien fait, et l’envie de faire partie prenante de l’aventure. Exit donc le sempiternelle « comment », pourvu que le collaborateur ait réalisé son objectif, un résultat tangible. Bref, un management basé sur la confiance mutuelle et l’expérimentation. Cette conception entend donner du sens aux tâches quotidiennes en les reliant à une vision, passant d’une logique de récompense à une logique de responsabilité, plus valorisante. La bienveillance apparait comme la clé de voute de la performance, car chacun a la possibilité de se sentir émotionnellement connecté au groupe, respecté, et donc plus engagé au quotidien. Bien qu'aucune entreprise ne puisse garantir en soi la culture de la bienveillance, certains axes l’encouragent plus que d’autres, bien au-delà des règles de savoir-vivre élémentaires que sont la politesse ou encore l’empathie. De la clarté du territoire d’action des employés, en passant par l’attention portée à l’émulation collective, la magie opère lorsque les talents externes se sentent aussi appartenir à l’équipe. (Le graal !)

Certaines mauvaises langues vous diront que le manager « bienveillant » peine à dire les choses frontalement, tout en ayant une tendance à éluder les difficultés, voire à devenir complaisant. C’est pourtant tout l’inverse. Il a pour ambition de faire grandir ses équipes, les encourager en usant de pédagogie pour le mener au plus haut de leur capacité, en jouant la carte de la confiance et de l’encouragement. Cependant, la confiance ne se décrète pas, ne s’affirme pas haut et fort. Ce n’est pas un acte arbitraire, elle s’insuffle petit à petit par des attitudes bienveillantes et solidaires. Croire en la bienveillance, c’est être persuadé que nous donnons le meilleur de nous même si nous sommes épanouis sur notre lieu de travail. Exit donc la QVT de façade, l’« effet gadget » avec la salle de repos, le baby-foot… parfaitement futiles si un climat de confiance ne règne pas dans l’entreprise.

A noter qu’il existe deux formes de bienveillance : l’instrumentale et l’informelle. La première, dite organisationnelle, fait référence aux outils RH mis en place, à savoir les grilles d’évaluation, de formation, de feed back et de coaching à destination des collaborateurs dans le cadre de leur évolution. Autour de ce formalisme qui structure les relations humaines, se cache une bienveillance tout aussi bénéfique et précieuse : l’informelle. Cette dernière n’est pas du ressort de l’organisation mais fait appel à l’intime, ces instants suspendus non prévus dans la fiche de poste. D’un afterwork le vendredi soir entre collègues, en passant par les discussions à la machine à café ou l’aide sincère à un collègue qui s’échine à boucler un dossier, elle n’est pas contrainte par l’idée sous-jacente de performance. Elle s’apparente souvent à de l’amitié et contribue à un environnement chaleureux pour se déployer dans les meilleures conditions. Si les leaders se doivent de mettre en œuvre une bienveillance organisationnelle, ils ont tout donc tout intérêt à laisser prospérer ces temps d’échanges informels, en dehors de tout contrôle.

L’être humain, tout comme certaines espèces animales grégaires, ont su subsister dans le temps grâce à la capacité de ses membres à coopérer avec efficacité dans le calme comme la tempête. La performance, la création de valeur durable ne tient pas uniquement à l’attitude d’un dirigeant, mais tire ses sources dans une collaboration harmonieuse du groupe. Dans cette optique, la bienveillance est une composante incontournable pour se sublimer individuellement, mais de concert à un projet commun.